Souvenirs d’enfance heureuse à se rouler dans l’herbe fraîche de prairies chantantes, moments de détente intenses au cœur des forêts… qu’est-ce qui nous fascine dans les sons de la nature ? Le compositeur et créateur radiophonique David Christoffel revient pour nous sur la musicalité de la nature. Entretien vibrant.
Peut-on dire que les sons de la nature sont aussi beaux qu’une musique de chambre ? Docteur en musicologie, auteur de « La musique parle, la musique peint », David Christoffel rapproche la musique de la poésie. Qu’en est-il de la mélodie d’une forêt à l’automne, des champs en fleurs qui bourdonnent ? Dans quelle mesure pouvons-nous écouter la nature différemment, pour mieux l’entendre ? Que de questions à poser à David Christoffel qui a bien voulu nous écouter.
Et si nous nous immergeons en pleine nature pour composer une mélodie ?
Orchia d'Orio nous transporte dans son univers à travers cet interview, pianiste compositrice, elle nous explique son métier et sa façon de développer son sens de l'écoute.
Le musicologue se demande souvent pourquoi nous mettons en opposition les bruits de la ville des sons de la nature. « C’est une construction sonore façonnée. Pourtant, il existe bien des sons intermédiaires, entre nature et ville, comme le chant d’un oiseau en cage, entraîné à chanter par des serinettes (un instrument ancien pour apprendre aux oiseaux chanteurs à déployer leur belle voix) ! »
À l’inverse, la nature peut être silencieuse à cause des hommes. « Comme dans les forêts d’Asie du Sud-Est, où quantité d’oiseaux chanteurs ont été capturés, laissant ces espaces naturels dénués de leurs sons caractéristiques. »
Chez nous, pendant le confinement, on a trouvé que les oiseaux chantaient plus forts en ville. « Peut-être étaient-ils perturbés, voire stressés, de ne plus nous entendre. Le règne animal citadin s’est vu ébranlé ! »
On a tendance à l’oublier, mais l’être humain fait partie de la nature. C’est pourquoi notre expert considère qu’on peut donc intégrer les bruits produits par notre propre corps dans les sons de la nature.
C’est aussi une question d’échelle. « Ce qu’on entend dépend de notre espèce. Nous sommes déterminés par ce que nous pouvons entendre, ou pas ». David Christoffel nous rappelle par exemple que l'éléphant entend des sons très graves, des infrasons, que nos oreilles ne perçoivent pas.
Voilà plusieurs siècles que les sons de la nature sont valorisés. David Christoffel revient sur cette notion tout en poésie. « La notion de « paysage sonore » est apparue au XIXe siècle, portée par Murray Schafer. Ce compositeur a proposé « d'écouter le monde comme une vaste composition musicale - une composition dont nous serions en partie les auteurs. » Des créateurs sonores se sont alors lancés dans des « field recordings », redoublant d’ingéniosité et d’inventivité pour trouver les plus belles façons d’enregistrer la nature. Parce qu’il y a différentes façons de lui tendre le micro… ».
Plus les sons sont pleins, plus ils sont séduisants pour l’oreille. « Le ressac de la mer - les vagues qui s’échouent sur la plage avec plus ou moins d’intensité -, les bruits d’une fontaine ou d’une cascade qui s’écoule sont des sons au bruit massif… Ces sons remplissent beaucoup de gammes de fréquences. D’où leur côté anesthésique. On peut les rapprocher du bruit que fait un aspirateur… »
Tout dépend du contexte aussi. « Une promenade en bord de mer, à n’écouter que la mer, permet de se couper acoustiquement du monde. Un isolement bénéfique. Et pourtant, il y a une nuance. La méditation sur une plage de la Croisette n’est sans doute pas la même qu’à Plouarzel. »
Il y a aussi les sons de la nature dont on peut s’émouvoir, comme l’orage. « Encore faut-il pouvoir s’en protéger et être à l’intérieur pour l’écouter. C’est la même chose chez les animaux. Le chant des oiseaux est beau dans notre culture, contrairement aux insectes, car un rapport de proie à prédateur s’instaurera lorsqu’on entendra par exemple un moustique voler. »
Mais nous n’aimons pas tous de la même manière les sons de la nature. Une histoire de stéréotype entre ville et campagne, encore. « Le son du coq sera beau pour celui qui aime la nature, et gênera les citadins qui veulent un calme complet ».
Mieux apprécier les sons de la nature, sans doute est-ce aussi une question d’âge selon le musicologue. « Une oreille s’ouvre souvent davantage à la beauté des sons de la nature à 45 ans qu’à 22. La sensibilité de la nature et la recherche de verdure viennent avec la maturité. Néanmoins, cela fonctionne mieux si les souvenirs d’enfance en pleine nature sont heureux. Car on peut aussi développer la peur du loup, des chasseurs en forêt… »
Parfois, cela peut aussi donner lieu à des incompréhensions entre générations. David Christoffel nous plonge dans l’une de ses propres anecdotes d’enfance : « Petit, lors des séismes à Mexico, j’avais demandé à la maîtresse si la Terre mugissait. Elle m’avait répondu que oui, lorsque les immeubles s’écroulaient, mais ce n’était pas ma question. Je me demandais quel bruit faisait la nature quand elle tremble. »
Pour ceux qui écoutent bruits de forêt tropicale sur leur smartphone comme travail d’écoute, l’expert s’interroge : « Peut-on encore appeler cela « son de la nature »… » Il préconise plutôt d’aller se confronter à de vrais sons de la nature. Même en ville. « On peut observer à quel point les sons d’un parc peuvent être différents en fonction de l’heure de la journée, et apprendre à apprécier cette diversité. On pourrait imaginer des promenades de l’oreille, qui consistent à se laisser guider par les sons. Une vraie expérience sensible ! » À tester !
« La musique vous veut du bien », de David Christoffel, aux Editions PUF, une nouvelle collection de poche au printemps 2022.
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